Au 17e siècle, un étrange procès se déroule en Sicile : une femme est accusée d’avoir eu des relations sexuelles avec des animaux parce qu’elle a accouché d’un bébé ressemblant à un chien, et d’un autre ressemblant à un âne … On la suspecte de « bestialité » (aujourd’hui on dirait zoophilie). On fait intervenir le plus grand expert de l’époque, le célèbre Paolo Zacchias, médecin du XVIIe siècle considéré comme un des principaux fondateurs de la médecine légale moderne.
Comme vous le constaterez en lisant l’extrait-ci dessous d’un ouvrage de criminologie relatant l’affaire, deux options furent envisagées par le tribunal : soit la femme était coupable de fornication avec des animaux, soit son imagination l’a amenée à entendre aboyer un « môle » (anomalie rare de la grossesse, croissance anormale du placenta qui peut aboutir à l’avortement précoce).
Malheureusement on ne connaît pas l’issue du procès … mais comme le sous-entend l’auteur du texte ci-dessous il y a fort à parier que ça s’est mal terminé pour la pauvre femme …
En 1635, le 26 décembre, jour de la Saint-Etienne, une femme de Messine, l’épouse d’un orfèvre, accouchait d’un monstre ayant l’aspect d’un chien ; l’année précédente elle avait déjà mis au monde un âne. Les magistrats, à qui le fait fut conté, la soupçonnèrent véhémentement de fornication bestiale ; on eut recours à Zacchias pour avoir une consultation sur le sujet suivant : une femme qui accouche d’un âne et d’un chien s’est-elle livrée à des animaux, et la conception peut-elle se produire par la semence d’une espèce animale ? Le mari de l’inculpée est un homme robuste, de trente ans environ, ne paraissant pas avoir de raisons spéciales pour faire à sa femme autre chose que des enfants normalement constitués ; elle-même a l’aspect d’une femme saine, mais elle est curieuse et d’une imagination déréglée. Elle rend compte de la monstruosité de ses fœtus par les explications suivantes : pour le premier, elle l’a eu après avoir regardé avec une attention extrême des ânes qui coïtaient dans la rue ; pour le second, comme elle venait de coucher avec son mari, elle vit sous ses fenêtres un chien, et fit remarquer à son mari, comme une chose extraordinaire, que ce chien la regardait fixement. Neuf mois après elle accouchait d’un monstre ressemblant à un chien et qui n’a pas vécu. L’arrière-faix est venu dix jours plus tard. Le produit de la conception a été examiné ; sa tête est très déprimée ; c’est parce que la mère l’a serrée, au moment de l’extraction. (Le juge estime plutôt que c’est parce qu’il avait une face de chien, que les parents lui ont écrasé la tête.) Le sacrum est large et plat, mais sans queue. La peau n’a pas de poils, elle est rouge et très fine, comme celle d’un homme ; la face, eu égard à la position des yeux, fait plutôt penser à un oiseau qu’à un chien ; mais il y a des oreilles de chien, la droite plus longue que la gauche ; il y a deux incisives inférieures, il n’y a pas de mains, mais des pattes de devant ; quant aux membres postérieurs, ils sont constitués par des gaines osseuses, creuses et allongées. Le ventre est gonflé et livide. L’examen des organes internes a été fait rapidement, sans aucun soin (haud curiose) à cause de la puanteur (ob putredinem et nauseabundum fœtorem). Le sexe paraît être plutôt féminin (!!!).
En résumé la question posée à l’expert est celle-ci :
Le fœtus monstrueux a-t-il été produit par le coït d’une femme et d’un animal, ou bien est-il le résultat de l’imagination maladivement excitée de la femme ?
Après avoir déclaré, dans un long préambule, dont la clarté n’est pas la qualité dominante, qu’il n’y a rien d’impossible à ce que les semences féminine et animale puisse s’unir pour former un produit de conception, Zacchias s’attache à l’examen des causes qui, en dehors du coït bestial, auraient pu produire les foetus monstrueux.
Et d’abord, dit-il, il ne s’agit pas là d’un défaut de la semence d’un des époux, ou de la mauvaise qualité de sang de la mère ; les renseignements fournis sur eux les représentent comme des individus sains. et bien constitués. D’ailleurs, un sang vicieux empêcherait peut-être la fécondation de se produire, il pourrait engendrer à la rigueur une môle, mais non un animal arrivant à terme.
Reste l’imagination : peut-elle, par ses propres forces, engendrer les monstres ? Non, évidemment.
En effet, chacune des facultés a ses fonctions propres et n’agit en aucune façon sur les autres ; la faculté de sentir ne fait pas entendre ; de même l’imagination n’est pas la faculté formatrice. D’autant mieux que s’il y a rapport et parfois concours entre les facultés d’un même ordre, il n’y en a pas entre celles d’un ordre différent ; les facultés de l’âme sont indépendantes absolument des facultés naturelles, et celles-ci des facultés vitales.
D’autre part, quels éléments l’imagination apportera-t-elle à l’enfantement, à la confection du monstre : interviendra-t-elle comme matière constitutive, ou comme instrument modificateur de cette matière ?
Comme matière, c’est impossible, puisque les choses imaginées (præsentatio phantasmatum) sont de purs fantômes, intransformables en substances palpables, incapables de servir de support aux propriétés de la matière couleur, étendue, etc. Dire que l’imagination intervient comme instrument modificateur de la matière d’ailleurs formée n’est pas résoudre le problème, puisque l’instrument n’a pas la propriété d’imprimer ses qualités propres, sa forme, à la matière sur laquelle il agit.
Enfin la collaboration, accidentelle de deux forces dont les buts sont naturellement distincts est contraire à la Nature qui n’admet pas de confusion, et ne veut pas qu’une faculté se charge du travail d’une autre.
D’ailleurs il faut pour la formation du produit de la conception; une force dont l’action soit continue, et non une faculté qui n’agit que pour un instant, comme fait l’imagination. Celle-ci, suivant l’opinion la plus répandue, agirait sur la semence au moment de la fécondation : il faudrait au contraire qu’elle pût agir sur le sang, pour arriver à modifier les chairs et les os, au point de transformer un fœtus humain en un animal.
Les conclusions sont les suivantes :
Les causes de production des monstres, imagination ou vice des semences, étant éliminées, on peut supposer qu’il y a eu mélange de semences de diverses espèces. Il faut donc, selon moi, soupçonner la femme dont il s’agit d’un coït abominable, et procéder à la recherche de la vérité, en tenant compte de ces indices. A moins que nous ne disions pour sa défense : 1°que la génération de ces monstres doit être rapportée à la nature du pays, car la Sicile est la terre des monstres ; 2° que ce produit de conception est du genre des môles, et que si la femme a cru entendre aboyer le monstre dont elle était accouchée, c’était purement l’effet de sa terreur. Ce qui confirmerait cette dernière manière de voir, c’est que la môle est produite seulement par l’union de la semence féminine avec le sang provenant de l’utérus, il a pu arriver que la femme, voyant coïter un âne ou un chien, ait eu un spasme, ait conçu, et qu’il en soit résulté les monstres en question. Il faut reconnaître que cette interprétation ne manque pas de difficultés très grandes.
La dernière proposition est un aveu à retenir. Toute la dissertation est d’ailleurs hérissée de ces mêmes difficultés, et si elle peut passer pour un modèle de discussion dans le genre scolastique, — particulièrement le passage qui a trait au rôle de l’imagination dans la conception, — elle ne paraît pas inspirée d’une façon absolue par l’esprit de critique scientifique. Il est regrettable que l’on ne connaisse pas l’issue du procès : on peut supposer que les juges ne se sont pas contentés des explications que contient la conclusion du rapport, et que l’idée ingénieuse de faire de la Trinacrie le pays des monstres n’a pas suffi à les attendrir ; il règne dans toute cette histoire une inquiétante odeur de fagot.Les crimes de sang et les crimes d’amour au XVIIe siècle / par Edmond Locard / 1903
A l’époque, plusieurs médecins pensaient que le sperme animal pouvait féconder une femme humaine, citons par exemple le père de la sexologie, Nicolas Venette (1633-1698), à propos d’une théorie de son confrère le médecin Guillaume Rondelet (1507-1566) :
« Rondelet a une plaisante pensée sur la génération de ces faux germes animés. Il croit que si les femmes engendrent des fœtus qui ressemblent à des lézards, à des hérissons ou à d’autres pareils animaux. on doit les interroger pour savoir si elles n’ont point mangé d’herbes ou bu d’eau qui conservât la semence de ces animaux. Car il se persuade que les vers, les grenouilles ou les autres animaux qui s’engendrent quelquefois dans les boyaux des hommes ne peuvent venir que des semences qu’ils ont avalées et que la chaleur naturelle a fait éclore dans leurs corps ; ainsi, que la semence de ces animaux étant distribuée parmi les sens d’une femme peut être envoyée à la matrice et y produire. une espèce d’animal semblable à celle dont elle procède. »
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