« Elle sortit Gregor de son panier, lui défit son lange et le posa tout nu sur la table de la cuisine. J’observai avec un certain étonnement. Il braillait. « Petit coléreux », dit Oonagh. A moi : « Ca va refroidir. » Je chargeai ma fourchette de hareng.
Oonagh se pencha sur Gregor et prit son minuscule pénis dans sa bouche. L’enfant se tut instantanément. Il gazouilla. Une menotte battit l’air. Ses yeux qui louchaient se tournèrent vers moi. Il remua la tête de droite à gauche comme pour résister à une passe hypnotique. Il ferma les paupières. Il s’endormit. Oonagh poursuivit une minute encore sa succion rythmée. »
XVIIe siècle – Une « guillery » royale très sollicitée
L’une des plus connues, si pas la plus connue, des traces de cette particulière façon de calmer les nourrissons dans les sources de l’Histoire se retrouve dans le Journal de Jean Hérouard, premier médecin de Louis XIII. À la date du mercredi 24 juillet 1602, alors que le fils d’Henri IV et de Marie de Médicis n’a que 10 mois, on peut lire :
« Vêtu à sept heures, il prend plaisir et se rit à plein poumon, quand la remueuse lui branle du bout du doigt sa guillery. A huit heures, porté à la chambre de la Reine, aux fiançailles du baron de Gondi et de la signora Polyxena Gonzaga, l’une des filles de la Reine. Le Roi lui continue toujours ses caresses. »
« Ce psychanalyste aurait tort »
Dans L’enfant et la Vie familiale sous l’Ancien Régime, 1960, au chapitre 5 : « De l’impudeur à l’innocence », Philippe Ariès donne en commentaire au récit des sollicitations de la « guillery » du petit Louis XIII durant sa prime enfance cette observation des plus pertinentes :
« Cette absence de réserve vis-à-vis des enfants, cette façon de les associer à des plaisanteries qui brodent autour de thèmes sexuels, nous surprends : liberté de langage, plus encore, audace des gestes, attouchements dont on imagine aisément ce qu’en dirait un psychanalyste moderne ! Ce psychanalyste aurait tort. L’attitude devant la sexualité varie avec le milieu et par conséquent selon les époques et les mentalités. »
XVIIIe et XIXe siècle – Agaceries des domestiques et servantes
Au siècle suivant, on va voir resurgir des témoignages de cette pratique, non plus dans la chronique royale, mais dans les annales judiciaires, comme c’est souvent le cas lorsqu’on cherche à faire l’étude de la sexualité durant ces siècles. On va ainsi retrouver des allusions à des « servantes et domestiques » ayant recours à la même pratique pour calmer les bébés mâles aux XVIIIe et XIXe siècles dans le cadre de plaintes contre ce personnel de maison. Dans l’excellent Nudité et pudeur. Le mythe du processus de civilisation, paru en 1988, Hans Peter Duerr cite les cas suivants dans l’Allemagne du début du XVIIIe siècle, où est reproché à des domestiques et servantes :« … d’avoir pour habitude de les (les garçons) attirer à elles, de les cajoler, de les prendre sur leurs genoux, de les embrasser et de leur faire toutes sortes d’agaceries. Car cela ne peut que rendre un garçon trop entreprenant et sans gêne ; il se croit permis de leur toucher les seins et, comme cela provoque des cris et des rires, il pense qu’il a parfaitement bien agi, alors qu’une telle permissivité entraîne toutes sortes de conséquences fâcheuses. »Ou encore, en 1807, un médecin soupçonne les nourrices et les bonnes d’enfants de Rostock de très visiblement s’exciter elles-mêmes en tripotant le sexe des petits garçons et ne cache pas sa colère contre ces jeunes femmes :
« que non seulement l’on peut voir embrasser et prendre dans leur bras les enfants dont elles ont la grade, mais encore dont j’ai moi-même on ne peut plus nettement observé que, par jouissance, elles est souvent les mains sous les vêtements des enfants dont, ce faisant, elles cherchent à exciter des sens qui auraient dû sommeiller longtemps encore. »
XIXe et XXe siècles – Cause des « pratiques honteuses »
En 1876, dans L’onanisme chez la femme, le docteur Louis Pouillet, faisant le tour de ce qui peut inspirer ou initier les « pratiques honteuses » , mentionne « le mauvais exemple toujours contagieux » et cite d’une part les camarades d’études avec qui se « commet la première faute, suivie de bien d’autre dans la suite ». Puis d’autre part, de façon plus surprenante :
« Ailleurs ce sont des précepteurs, des valets ou des servantes qui, marchant à pieds joints sur les devoirs moraux qui leur incombent, initient la jeunesse aux pratiques honteuses. »
Après avoir cité un exemple sans vraiment rien en dire d’un précepteur aux mains légères à Strasbourg, Louis Pouillet interpelle :
« Enfin ne voit-on pas tous les jours des nourrices mercenaires pousser la stupidité jusqu’à chatouiller les organes génitaux de leur nourrissons, afin d’apaiser leur cris et de calmer leurs pleurs ? »
On retrouve cela en 1883, toujours dans les causes de la funeste habitude, dans Hygiène de la génération, Onanisme, seul et à deux, sous toutes ses formes et leurs conséquences du docteur P. Garnier :
« Diverses autres causes, apparentes ou secrètes, peuvent également produire cette funeste habitude. Elle est souvent enseignée par les nourrices qui chatouillent leurs nourrissons, sans mauvaise intention, pour apaiser leurs cris en leur procurant une sensation agréable qui les distrait de leurs chagrins ou de leurs souffrances. Les bonnes et les domestiques qui les remplacent leur apprennent ensuite par libertinage et dépravation. Exemple ce petit garçon de trois ans qui, de vif et éveillé, devint tout à coup triste, pâle et dépérit sans cause apparente, d’après le docteur Christian. Les parents découvrirent bientôt que la bonne était la seule coupable en lui enseignant les pratiques solitaires. »
Toujours dans le cadre de l’onanisme, Xavier Pradel, en 1875, dans Amour et onanisme : quelques considérations sur l’hygiène de la jeunesse, parmi les moyens de prévenir l’onanisme cite en premier :
« Je commencerai par recommander dans les familles une grande circonspection en présence des enfants, un respect sans bornes pour leur innocence. Si vous avez une domestique ou une nourrice, surveillez-là, vous éloignerez ainsi la première cause, car souvent, pour éviter des tracas, elles n’hésitent pas à frotter ou à chatouiller les parties sexuelles des enfants, afin de les faire dormir. »
Dans une note de Freud
En 1905, Freud évoque aussi cette pratique, mais dans l’idée, cette fois-ci, de prévenir l’insomnie. Dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle, il glisse dans une note, et on sait que souvent chez Freud l’intérêt s’y retrouve, sur l’insomnie et la meilleure façon d’y remédier :
« On a déjà ici la preuve d’un fait qui se vérifiera pendant la vie de l’adulte, à savoir que la satisfaction sexuelle est le meilleur remède contre l’insomnie. La plupart des cas d’insomnie nerveuse sont dus à une insatisfaction sexuelle. On sait que des nourrices peu consciencieuses calment et endorment les enfants qui leur sont confiés en leur caressant les organes génitaux. »
« … on ne peut rien faire contre les paroles grossières et honteuses des domestiques et des autres personnes sans éducations qu’on rencontre involontairement dans la rue. »
« .. Il est bon d’interdire aux domestiques de dire des mots grossiers ou de faire des gestes honteux, et si ce n’est pas possible toujours, du moins en présence des enfants…
Comme Fournier, il m’est arrivé de voir des cas assez nombreux, où des enfants ont connu l’horrible vice par un professeur, par un domestique, ou encore par un camarade plus âgé.
Quelquefois les nourrices, pour endormir les enfants, ont la mauvaise habitude de chatouiller leurs organes génitaux, en provoquant même des érections.
L’observation suivante du Dr René Blache, citée par Fournier, est caractéristique :
« Dans une famille à laquelle il donnait ses soins, un enfant de 12 à 15 mois, du sexe masculin, était allaité par une nourrice, qui avait un lait tout à fait insuffisant ; or, pour calmer l’appétit non rassasié et les pleurs du petit être, durant la nuit, et sans doute aussi pour sauvegarder ses intérêts, cette horrible mercenaire n’avait pas trouvé de meilleur moyen que de pratiquer la succion des parties génitales du nourrisson. Un enfant plus âgé, frère de celui-ci, qui couchait dans la même chambre, témoin inconscient de la chose, la raconta naïvement à la mère. »
Pratique universelle ?
Cette histoire semble faire écho à celle racontée par le héros de de William Boyd avec laquelle nous avons introduit cet article. Un peu plus loin de ce roman, le narrateur précise que :
« Plus tard dans ma vie, je rencontrai un anthropologue et lui parlai du calmant-bébé spécialité Oonagh. Il ne fut pas surpris. Il affirma connaître plusieurs tribus et société primitives parmi lesquelles de telles pratiques étaient très répandues. »
Monsieur sans queue
Pour conclure confirmons donc qu’en effet de telles pratiques ont été documentées au niveau de l’anthropologie notamment chez les Bochimans !Ko (Afrique australe), les Nya Hön (Laos), les Cayapa, les Fon du Dahomey (Bénin), les Bimin-Kuskumin (Papouasie-Nouvelle-Guinée),.. Mais si ces pratiques ont parfois pour finalité l’apaisement du bambin, elles s’inscrivent plus généralement dans un jeu d’agacement, d’amusement et de taquineries envers l’enfant à un âge un rien plus tardif telle que le raconte Rabelais dans La vie très horrifique du grand Gargantua père de Pantagruel au moment d’évoquer l’éveil sexuel de Gargantua à l’âge de cinq ans :« Ce petit paillard tousjours tastonoit ses gouvernantes, cen dessus dessoubz, cen devant derriere, — harry bourriquets ! — et desjà commençoyt exercer sa braguette, laquelle un chascun jour ses gouvernantes ornoyent de beaulx boucquets, de beaulx rubans, de belles fleurs, de beaulx flocquars, et passoient leur temps à la faire revenir entre leurs mains comme un magdaleon d’entraict, puis s’esclaffoient de rire quand elle levoit les aureilles, comme si le jeu leurs euste pleu.
L’une la nommait ma petite dille, l’aultre ma pine, l’aultre ma branche de coural, l’aultre mon bondon, mon bouchon, mon vibrequin, mon possouer, ma teriere, ma pendilloche, mon rude esbat roidde et bas, mon dressouoir, ma petite andoille vermeille, ma petite couille bredouille.
« Elle est à moy, disoit l’une.
— C’est la mienne, disoit l’aultre.
— Moy (disoit l’aultre), n’y auray je rien ? Par ma foy, je la couperay doncques.
— Ha couper ! (disoit l’aultre) ; vous luy feriez mal, Madame ; coupez vous la chose aux enfans ? Il seroyt Monsieur sans queue. »
Ajouter un Commentaire