Débauche sous la Révolution : le scandale des faux « sauvages » exhibitionnistes et des théâtres pornographiques

Durant la , alors qu'un nouveau code pénal laisse à penser qu'en matière de mœurs aussi la liberté n'a pour limite que celle de l'autre, un « spectacle » pornographique va faire scandale et ses « acteurs » vont apprendre à leurs dépens qu'une nouvelle morale a fait place à l'ancienne et que depuis la nuit des temps pour vivre heureux, il faut vivre caché…

Un code pénal libertaire et révolutionnaire

Le nouveau code pénal de 1791 se devait d'être révolutionnaire et il le fût au niveau de la sexualité et des mœurs. Tout comme il décriminalisa la blasphème, furent retirés du droit pénal : la sodomie, la bestialité et même l'.

Une des conséquences de cette laïcisation du code, dont l'article 4 précise que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », va être une prolifération et une plus grande visibilité de la . Les filles publiques n'ayant plus à se cacher, elles envahissent les rues de , surtout que « l'incertitude de vivre un lendemain fouettent dans les veines les fièvres lubriques, l'impatience des voluptés », comme le disent très bien les frères Goncourt dans leur « Histoire de la société française pendant la Révolution » :

« La police, toute aux affaires politiques, toute aux rapports de conspirations aristocratiques, laisse grandir et régner la prostitution. La Vénus vénale, délivrée de la tyrannie des Quidor, prend la rue, elle prend le pavé, elle prend la promenade, elle prend l'entre-sol, elle prend la boutique, elle prend la maison, et l'Eros populaire aux servantes innombrables racole partout, l'homme qui passe. Le sang verse tous les jours, l'incertitude de vivre un lendemain fouettent dans les veines les fièvres lubriques, l'impatience des voluptés, jetant la fortune aux castors et aux demi-castors. Et dans Paris ensanglanté et hennissant, les jardins publics deviennent un salon de filles, les fenêtres une enseigne. On distribue des adresses d'ouvrières en linge ou en modes, qui mènent aux lieux de vice. De la rue Croix-des-Petits-Champs des invitations pour voir des tableaux de Hollande ou d'Italie sont données aux tout jeunes gens qui trouvent une Hollandaise ou une Italienne. Près de l'Opéra, un sérail de filles de douze, treize et quatorze ans, qu'on chasse quand elles en ont quinze. »

L. Bonnet, d'après S. Leclerc, A beau cacher, estampe XVIIIe siècle, BnF/Gallica

« La parade de sauvages » : l'histoire d'un scandale sexuel

Vu le nouvelle esprit des lois, il est surprenant et intriguant de lire sous la plume Jacques Chabannes dans son « Amours sous la Révolution » que :

« En 1791, il y eut, au Palais-royal, un scandale : deux prétendus sauvages s'exhibaient, moyennant six livres par visiteur, dans des scènes de . L'homme était un nommé Constant et la femme une nommée Louise Maurice. Ils furent arrêtés et échappèrent à l'échafaud de justesse. »

En fouillant dans la chronique de l'époque, on retrouve en effet deux mentions de ce scandale.

D'une part, dans le n°92 de « Révolutions de Paris, dédiées à la Nation » du 09 avril 1791, journal édité par Louis Marie Prudhomme, l'auteur d'un article s'indigne que l'idée de « liberté » se soit transformée en excès pornographiques dans le monde du théâtre.

« La liberté des théâtres avoit fait éclorre au Palais-royal un spectacle d'un nouveau genre. Entrez, Messieurs, vous verrez le grand ballet des sauvages, c'est ainsi que l'annonçoit un crieur placé à la porte. Les billets étoient de 6 et 3 livres. On voyait un prétendu sauvage et sa femme, tous deux nus, qui, en présence des spectateurs, se livroient aux mystères les plus secrets de la nature. On ne commençoit que lorsqu'il y avoit quatre personnes, et les sauvages donnoient jusqu'à quinze représentations par jour. Ils ont été arrêtés et conduits chez le juge de paix, où, après avoir essayé en vain de parler un langage inintelligible, ils ont fini par avouer qu'ils étoient l'un forgeron du faubourg Saint-Germain, et l'autre une femme publique de la rue des Orties. »

Louis Binet, Foyer Montansier, 1798-1799 (BNF, département Estampes et photographies)

D'autre part, « L'Esprit des Journaux, François et Étrangers », de la même année, reprend la même anecdote en donnant plus de détails :

Dans les archives de la préfecture de police

Mais, comme c'est souvent le cas en ce qui concerne l'histoire de la sexualité et des mœurs, c'est dans les archives de police qu'on retrouve le plus d'informations. On y apprend que le 11 avril 1791, aux alentours de 19h, le commissaire de la Butte des moulins et son secrétaire-greffier se présentent au n° 2659 de la galerie de bois, où, leur a-t-on dit, se déroulait un « spectacle scandaleux » et ils ne vont pas être déçu du voyage. Une fois la porte passée, face à eux :

« Deux sauvages de l'un et l'autre sexe dont la femelle était couverte à la partie supérieure du corps d'un filet, et la partie inférieure entièrement nue, c'est-à-dire à compter des reins, et le mâle couvert entièrement d'un filet »

Il s'avère très vite que les sauvages sont en réalité deux acteurs, dans le rôle de la « femelle », une jeune fille de 16 ans dénommée Louise Maurice, et dans celui du « mâle » le mari de la tenancière de la boutique, un certain Constant.

Lors de son interrogatoire, la jeune Louise va donner plus de détail sur le déroulement de ce qu'on appellerait aujourd'hui une « performance ». Dans un premier temps les spectateurs sont invités à voir les sauvages mangeant des cailloux, ensuite on retire les filets pour permettre une meilleure observation de leur sauvage nudité. Enfin, moyennant 6 livres il est possible de « les voir jouir ensemble comme sauvages qui ne connaissent pas les mœurs de l'Europe »

Un spectacle identique avant la Révolution

Pour conclure sur ce scandale dont les acteurs « échappèrent à l'échafaud de justesse », il nous faut citer le chroniqueur Sébastien Mercier, qui dans ses mémoires sur la Révolution : « Paris pendant la Révolution (1789-1798) ou le Nouveau Paris », publiées sous le Directoire, évoque les sulfureuses nuits au Palais-Royal et se souvient d'un spectacle identique s'y déroulant avant la Révolution. Était-ce dans la même boutique, ou cette thématique était-elle un classique des spectacles érotiques qui étaient légion au Palais-Royal, on ne sait pas, mais il semblerait que la peine fût bien moins sévère : l'acteur « mâle » en « fut quitte pour quelques jours de captivité » :

« Ce palais a ses phases et non moins changeantes que celles de la lune. Dès que le jour tombe, toutes les arcades s'illuminent subitement, les boutiques deviennent resplendissantes et les bocaux des joailliers jettent au loin une grande clarté. La foule devient plus nombreuse et sort du jardin du commerce, car on pourrait ainsi l'appeler. C'est l'instant où les académies de jeu s'ouvrent malgré toute la sévérité des lois de la police, et tandis que les grands escrocs taillent dans les salons, les petits travaillent dans les fréquents passages qui communiquent dans des rues adjacentes et qui servent d'échappatoires aux filous et aux agioteurs qui abondent. Autrefois c'était l'instant où les étrangers et les curieux allaient admirer dans les appartements secrets du duc d'Orléans les figures obscènes de l'Arétin exécutées en cire, grandeur de nature ; c'était l'instant où le jeune homme abandonnée à lui-même allait repaître ses yeux du spectacle de ce prétendu sauvage qui s'accouplait publiquement avec une femme de son espèce, à vingt-quatre sols par tête ; et cet homme infâme, on le mit dans la même prison ou étaient trente-deux représentants du peuple ! Là je l'ai vu ! Il en fut quitte pour quelques jours de captivité. »

Ajouter un Commentaire