Le supplice de Mme de Saint-Sulpice qui eut littéralement le feu au cul

Partie fine chez Louis IV Henri de Bourbon-Condé

Nous sommes le 13 février 1721, la Régence a encore deux années devant elle avant la majorité de Louis XV, et son futur premier ministre, M. le Duc (Louis IV Henri de Bourbon-Condé) organise ce soir-là, en compagnie de sa maîtresse, Mme de Prie (Jeanne-Agnès Berthelot de Pléneuf), un souper dans une petite de ses propriétés, rue de Vaugirard (faubourg Saint-Germain), qui abrite ses amours illégitimes.

Parmi les convives, si la présence du comte de Charolais, hommes d'excès, rude voire violent, augure une soirée haute en couleur, elle inquiète aussi, ne sachant jamais trop sur qui se posera son courroux.

Nombreux ont encore à l'esprit le souvenir, même très embrumé, du soir où le repas terminé, le comte de Charolais déshabilla complétement Mme de Saint-Sulpice, qui était ivre-morte ; l'emmaillota dans une nappe avec des serviettes comme un enfant, et la ramena ainsi dans un carrosse à sa porte.

Portrait de Charles de Bourbon, comte de Charolais.
Charles de Bourbon, comte de Charolais (1700-1760), homme au tempérament violent qui bouta le feu à l'intimité de Mme de Saint-Sulpice

« Un pétard tout enflammé sur un endroit qu'il ne faut pas nommer »

Mais cela n'a visiblement pas servi de leçon à Mme de Saint-Sulpice, qui est elle aussi présente ce soir-là. Edmond Jean François Barbier, mémorialiste de l'époque, donne d'elle le portrait suivant :

«Mme de Saint-Sulpice est une jolie femme et coquette qui a l'imprudence de souper avec des princes du sang et qui souffre d'eux de mauvaises scènes quand ils sont ivres. » (1)

Et c'est évidement, ce qui va se passer à nouveau ce soir-là,  mais, on ne sait trop pourquoi, la mauvaise scène va aller plus loin, trop loin. A force de jouer avec le feu, on finit par se brûler. Et qui de mieux que la grande prêtresse du ragot ; Madame, duchesse d'Orléans, pour nous narrer la scène :

« On croit qu'elle en mourra, mais elle l'aura bien mérité ; car, en soupant avec le comte de Charolais, il l'enivra complètement, la déshabilla, lui appliqua un pétard tout enflammé sur un endroit qu'il ne faut pas nommer, en disant : « Il faut que petit Bichon mange aussi. » Elle fut horriblement brûlée; il l'enveloppa dans un drap de lit et la renvoya chez elle dans un fiacre. Après cela, on ne peut la plaindre. » (2)

Dans leur chansonnier historique du XVIIIe siècle, Clairambault et Maurepas précisent que :

« M. le comte de Charolais coula de la poudre sur elle et sous son siège, mit le feu à la traînée qui gagna les parties secrètes, et la brûla de telle sorte qu'elle en a été très incommodée pendant longtemps, jusqu'au point que l'on a cru qu'elle en mourrait. » (3)

Le vrai de Mme de Saint-Sulpice

Si, sérieusement brulée, la mauvaise plaisanterie la marqua à vie dans sa chair, elle réduisit aussi en cendre le peu de bonne réputation qui lui restait. Quelques amis tentèrent de donner une autre explication à cet incendie intime, comme son ami et conseiller Mathieu Marais :

« Étant debout près du feu, un pied sur un chenet, son panier poussa sa jupe dans le feu sans qu'elle s'en aperçût d'abord. Le feu ayant pris à la jupe et au panier, elle vint retrouver la compagnie qui fut fort étonnée de la trouver en cet état, toute brûlante ; on ne savait comment la secourir. Cette ridicule et triste aventure a donné à causer à tout . »

Mais ce fut en vain. La réputation de fille  « fort aimable et de mœurs faciles » de la dame n'était déjà plus à faire depuis longtemps. Il fut donc pour tous évident que si Mme de Saint-Sulpice, connue pour avoir le feu au cul, l'eut bien littéralement, ce n'était pas à cause de la cheminée.

L'anecdote se rependit comme une traînée de poudre dans le tout Paris, au point qu'une chanson évoquant cette aventure se retrouva rapidement sur toutes les lèvres :

La bonne dame de Saint-Sulpice,
Sans penser aucune malice,
Etant seule et mettant son fard,
Le feu prit à sa cheminée.
Cet accident me surprend, car
Elle était souvent ramonée.
Condé, ce grand foudre de guerre,
Était plus craint que le tonnerre.
Bourbon, tu lui ressembles peu;
A trente ans tu n'es qu'un novice,
Car tu n'as jamais vu le feu
Qu'à la tranchée de Saint-Sulpice.
Le grand portail de Saint-Sulpice,
Où l'on a fait tant de service,
Est brûlé jusqu'aux fondements.
Chacun s'étonne, avec justice,
Que les Condés, par passe-temps,
Détruisent un tel édifice.

Il semble qu'elle ne se remit jamais complètement de cet incident. Certains prétendent qu'elle en serait morte, mais l'on ne sait si c'est des suites de ses brûlures ou de honte.

Une précédente histoire de pétards et de feu au cul

Dans tous les cas, « la bonne dame de Saint-Sulpice » eut moins de chance, ou d'âmes charitables autour d'elle, que la princesse d'Harcourt qui faillit aussi souffrir d'un pétard mal placé comme le raconte Saint-Simon dans ses mémoires :

« Mgr [le duc] et Mme la duchesse de Bourgogne lui faisoient des espiègleries continuelles. Ils firent mettre un jour des pétards tout du long de l'allée qui, du château de Marly, va à la perspective, où elle logeoit. Elle craignoit horriblement tout. On attira deux porteurs pour se présenter à la porter lorsqu'elle voulut s'en aller. Comme elle fut vers le milieu de l'allée, tout le salon à la porte pour voir le spectacle ; les pétards commencèrent à jouer, elle à crier miséricorde, et les porteurs à la mettre à terre et à s'enfuir. Elle se débattoit dans cette chaise, de rage à la renverser, et crioit comme un démon.

La compagnie accourut pour s'en donner le plaisir de plus près, et l'entendre chanter pouille à tout ce qui s'en approchoit, à commencer par Mgr [le duc] et Mme la duchesse de Bourgogne. Une autre fois ce prince lui accommoda un pétard sous son siège, dans le salon où elle jouoit au piquet. Comme il y alloit mettre le feu, quelque âme charitable l'avisa que ce pétard l'estropieroit, et l'empêcha. »

 

(1) Chronique de la régence et du règne de Louis XV (1718-1763), ou Journal de Barbier. T. 1 (1718-1726)

(2) Correspondance de Madame, Duchesse d'Orléans

(3) Recueil Clairambault-Maurepas : chansonnier historique du XVIIIe siècle. Paris : A. Quantin, 1880-1884

Ajouter un Commentaire